Planquez-vous les clichés : le vin parisien ne s’arrête pas aux cartes de bistrots ou aux caves trendy du Marais. Au cœur même du 12ᵉ arrondissement, entre deux bâtiments de Bercy, un pan entier de patrimoine viticole ne demande qu’à être redécouvert : le Chaï de Bercy. Un lieu historique, méconnu, et pourtant incroyablement révélateur de l’âme discrète (mais tenace) du vin dans la capitale.
Un vestige du Paris marchand
Bercy, aujourd’hui plus connu pour son Palais omnisports et son centre commercial que pour ses barriques, a pourtant longtemps été l’un des plus grands centres viticoles du pays. De la fin du XVIIIᵉ jusqu’au début du XXᵉ siècle, c’était même le plus grand marché de vins au monde. Ici, pas de vignes ondulant à l’horizon, mais des quais grouillant de tonneaux, de négociants et de charretiers.
Le Chaï de Bercy — aussi appelé Chaix — en est la trace encore visible. Ce bâtiment en pierre et bois, adossé au parc de Bercy, abritait autrefois des milliers de fûts venant de tout le pays. Le vin y était stocké, assemblé, parfois coupé (oui, on n’est pas naïfs), avant d’être redistribué dans les cafés, hôtels et maisons privées de la région parisienne.
Un patrimoine sauvé de justesse
Dans les années 80, quand Bercy sort de son sommeil industriel et entame sa mue urbaine, beaucoup de bâtiments de l’époque sont rasés. Mais un petit groupe de passionnés, soutenu par la Mairie de Paris, réussit à sauver le Chaï de la démolition. Aujourd’hui, il fait partie intégrante du parc de Bercy et a été soigneusement restauré pour garder son ossature d’origine : poteaux de chêne robustes, toits en tuiles vernissées, rails au sol qui servaient à faire glisser les lourdes barriques…
C’est austère ? Non. C’est vivant. Parce qu’ici, il ne s’agit pas d’un musée figé, mais bien d’un lieu qui reprend du service avec un projet concret : faire revivre la tradition du vin à Paris.
Oui, il y a des vignes à Paris
Un chaï, en jargon œnologique, c’est un bâtiment où on entrepose le vin. Mais le Chaï de Bercy a une particularité rare : à quelques mètres de là, nichées dans le parc, se trouvent de vraies vignes. Environ 350 pieds de cépage Pinot noir, Chardonnay, Sauvignon et autres variétés résistantes ont été plantés dès la réhabilitation du parc, dans les années 90. Leur production est modeste, certes, mais elle est réelle.
Chaque année, en septembre, une micro-vendange est organisée avec l’aide de jardiniers municipaux et de bénévoles du quartier. Les raisins sont ensuite vinifiés dans les caves de la Mairie du 12ᵉ sous la houlette des œnologues du Centre horticole de Rungis.
Résultat ? Un vin de Paris, appelé « Le clos de Bercy », jamais commercialisé, mais utilisé pour des cérémonies officielles ou offert aux personnalités de passage. Autant dire un nectar rare, à l’image de son histoire.
Un lieu vivant et ouvert
Depuis quelques années, le Chaï accueille aussi des événements culturels et des expositions, majoritairement autour de la vigne, de l’alimentation ou du patrimoine parisien. Des visites guidées sont proposées gratuitement par des acteurs associatifs locaux, et elles valent le détour.
Lors d’un passage sur place, j’ai assisté à une visite organisée par l’association « Les amis du vieux Bercy », menée par Jean-Claude, un ancien douanier à l’humour bien sec. Entre deux anecdotes sur les taxes sur l’alcool et une explication sur les systèmes de rails de l’époque, on découvre à quel point le vin était central dans le quotidien des Parisiens. On apprend aussi que certains ouvriers du vin étaient payés… en litres de vin eux-mêmes. Le ticket-resto version 1900 ? Pas loin.
Un territoire en transition
Évidemment, Bercy n’est plus ce qu’il était. Depuis l’arrivée du Ministère de l’Économie, du parc contemporain signé Bernard Huet, et des nouveaux logements, le quartier a pris un tournant urbain radical. Mais justement, c’est cette cohabitation entre modernité et mémoire qui rend le Chaï si intéressant. Il est un point d’ancrage, un rappel que Paris n’est pas seulement tournée vers demain, mais sait digérer hier sans le renier.
À quelques pas des enseignes du Cour Saint-Émilion, vous tombez sur ces murs chargés de fûts et d’histoires. Une sorte d’îlot d’authenticité dans un environnement devenu très normé, presque aseptisé.
À voir, à faire autour du Chaï
Le Chaï de Bercy, c’est aussi un bon prétexte pour flâner autour du parc et pousser la balade jusqu’aux autres curiosités du quartier :
- Le Jardin Yitzhak Rabin : une parenthèse verte et poétique, composée de trois jardins thématiques. Parfait pour une pause ensoleillée entre les vignes urbaines.
- La Cinémathèque française : envie de cinéma entre deux dégustations ? Allez jeter un œil à la programmation du bâtiment conçu par Frank Gehry.
- Le Cour Saint-Émilion : ex-chais transformés en rues commerçantes et terrasses. C’est un peu touristique, mais les pierres ont de l’âme, et on y mange correctement.
Infos pratiques et visite
Le Chaï de Bercy est situé dans le parc de Bercy, accessible par la station Cour Saint-Émilion (ligne 14). L’entrée est libre, mais pour vraiment capter la richesse du lieu, mieux vaut intégrer une des visites guidées gratuites proposées au printemps et à l’automne. Les dates sont souvent annoncées via la Mairie du 12ᵉ ou les réseaux sociaux des associations locales.
À noter également que chaque année, autour de septembre, une petite fête des vendanges est organisée sur place. On y retrouve :
- Des stands de dégustation (sans vente d’alcool, règlement oblige)
- Des ateliers de pressage traditionnel
- Des animations pour enfants autour de la vigne
- Et même une mini-expo sur l’histoire du vin à Paris
Rien de tape-à-l’œil, mais beaucoup de sincérité et un brin de fierté locale. C’est l’esprit Bercy : discret, mais solide.
Pourquoi c’est important
Dans une ville où les lieux évoluent à la vitesse des métros aux heures de pointe, des endroits comme le Chaï de Bercy rappellent que la capitale construit son avenir en prenant appui sur ses racines. Ce n’est pas simplement une question de nostalgie. C’est une question d’identité.
Le vin, à Paris, n’est pas qu’un art de vivre. Il est aussi un marqueur social, économique et culturel. Qu’un quartier comme Bercy, longtemps assimilé à la logistique et au business, porte encore ce témoignage, c’est un signe que la capitale est capable de garder de l’épaisseur, même au cœur des métamorphoses urbaines.
Alors la prochaine fois que vous traînez du côté de Bercy, que vous avez une heure à tuer entre deux séances ciné ou un déjeuner d’affaires, poussez la grille du parc. Faites un tour au Chaï. Regardez les rails, les murs, les vignes. Respirez. Ce Paris-là ne s’évanouira pas dans les effluves de parfum marketing. Il a le nez franc, le palais rustique, et le cœur accroché à ses tonneaux.
— signé, Théo Martin
